Plastique de l’acier

J’avais, de temps à autre, puis plus régulièrement, une fois par semaine, deux fois par semaine, mais jamais beaucoup plus, j’avais, dis-je, attaqué le monceau par les flancs.

Je m’étais, rejetant toute armure, jeté, mains nues et écumant de mousse, dans la bataille, jeté sur le tas dégoulinant, l’amoncellement à l’assiette précaire, à l’équilibre instable.

À la manière des cascadeurs de « Fear Factor »1, je devais être prêt aux pires avanies. Je devais mettre ma vie en péril, évoluer sur un bidon lancé à vive allure, sautant de droite et de gauche pour éviter que l’un ou l’autre ne tombât. Toucher ou barboter dans des substances oiseuses. Dominer les haut-le-cœur. Surmonter la fatigue.

Nul n’était besoin de carottes pour étudier les strates.

Chaque libation avait laissé son écot à la sédimentation.

Chaque ordinaire avait marqué son cycle.

La bataille de l’Atlantique, la bataille d’Angleterre, Mers-el-Kebir, Barbarossa, Pearl Harbor, Tobrouk, rien n’aurait pu préparer une génération tout entière à la bataille à venir!

Deux bacs pour deux fois plus d’ampleur.

Un fini miroir, au temps de sa splendeur.

Un évier en acier d’une plastique irréprochable

Prédestiné, à jamais, à la salissure coupable.

Tel est le champ de cet ultime combat.

La séparation théâtrale du lieu ne permettant l’eau chaude sur les légumes du côté jardin, pour la réserver au côté cour et sa métallique cohorte, on finissait toujours par trouver force casseroles emplies d’eau glacée du mauvais côté.

Mon pire ennemi en ses lieux : le couteau de tartinade! La grande ayant décrété que de lécher un couteau était dangereux, puis la petite ayant décidé que le Nutella était trop parfaitement accordé à l’instrument, ni l’une ni l’autre ne prenaient le soin de limiter les pertes chocolatesques.

Et donc, avant d’entamer les grandes conquêtes, il fallait commencer par réparer des ans l’irréparable outrage, nettoyer la cour, à court d’instruments, préparer le jardin pour accueillir la verdure nouvelle.

Mais le facteur Effroi (« Fear Factor ») est terminé, remplacé par le Facteur Cheval, chaque petit galet a maintenant sa place. Ce sont les nouvelles aventures de Monsieur Propre qui ont remplacé la série « trash » et, mieux encore, aujourd’hui même, de nouveaux amis de l’armoire magique ont fait leur apparition pour égailler de leur couleur printanière les réjouissances à venir.

Ceci est une fiction, toute ressemblance avec des faits ou des personnes existantes ou ayant existé serait tout à fait fortuite et hors de notre contrôle.

Pendant cet intermède, les légumes farcis ont cuit et il est temps de passer…

À table!

1) « Fear Factor » est une émission américaine de télévision où des cascadeurs amateurs se mesurent à des épreuves aussi stupides que dangereuses : effectivement, courir sur des camions en marche et manger des denrées périmées ou des insectes vivants.