Tarte Tatin Tazieff

Le Vésuve sous la lune, cela devait être beau, en l’an 79.

Ici et maintenant, cela n’a pas le même charme. Mais c’est ça qui va nous arriver : les coulées de lave vont envahir l’appartement, nous allons rejouer Pompéi. Les archéologues viendront avec leurs petites truelles et leurs petits pinceaux pour nous extraire petit à petit de notre gangue de sucre. Nous serons cristallisés. Sur les photos, vous reconnaîtrez nos silhouettes figées, pétrifiées, statufiées aux abords de la cuisine. Vous ne pourrez pas vous tromper : le regard tourné vers le four, dont la porte est entrouverte et d’où s’échappent des flots de caramel solidifié.

Tout a commencé parce que j’avais l’espérance de les gâter d’une tarte Tatin.

Le caramel tel qu'il doit êtreIl faut des pommes, c’est évident. Il faut du sucre, ça aussi; ensuite du beurre et de la pâte, jusque-là, tout va bien. Enfin, il faut un moule rond à larges bords. Pas de problème, j’en ai aperçu au moins deux au fond de l’armoire à plats. Le premier est trop petit, le second sera parfait sauf que c’est un plat à charnière. Normalement, ce type de plat doit être raisonnablement étanche et le caramel est, tout aussi, raisonnablement épais. Tout devrait bien se passer.

Donc, j’entame le caramel au beurre. Il mousse généreusement.

J’épluche les pommes.

Je fais cuire les endives… Ah oui, j’ai oublié de vous dire que, simultanément, je fais des endives au jambon.

Sur la cuisinière, il y a les endives, la sauce blanche, le caramel ; sur le comptoir, les pommes, les plats, la pâte pour la tarte, le jambon, le lait, le parmesan, le beurre, la farine pour fleurer le plan de travail. Je m’y retrouve encore, plus ce serait trop.

D’un seul coup, le caramel précipite.

Moi aussi je me précipite !

D’une belle texture moussante, il devient une bulle brune dans un liquide épais et doré. Vous savez les lampes, dites modernes, dans lesquelles une bulle de substance bleue se déplace verticalement en se déformant sous l’action de la chaleur de l’ampoule. Eh bien la même, mais à l’horizontale, et sans le bleu quand même.

Je retire le maximum du beurre fondu et je verse le « caramel » dont la texture ne fait que me conforter dans l’idée que le moule ne laissera rien passer. Enfer et damnation, aussitôt versé, le beurre fondu traverse et flaque sous le plat. Je me hâte et rattrape, in extremis, les fluides en folie.[[[ Effet stroboscopique ]]] Je dispose les quartiers de pomme, arrête les endives, touille la sauce béchamel, pétris la pâte, ajoute encore des pommes, fleure le comptoir, égoutte les endives, abaisse la pâte, recouvre la Tatin. J’enfourne !

J’enroule les endives, finis ma béchamel, dispose puis recouvre. J’enfourne encore.

15 minutes plus tard, je jette un œil, avec, quand même, une petite appréhension au sujet du caramel.

J’entrouvre la porte et c’est là que le cataclysme se déclenche. Le caramel a entamé sa progression, il se répand sous le maudit plat à charnière. Il a entamé d’escalader le plat des endives et s’est élancé à l’assaut de la porte du four. Dès que j’ai entrebâillé la fournaise, des projections de caramel lancent une attaque vers la liberté. C’est l’explosion de l’Etna, une résurgence du Popocatepetl, une effusion du Stromboli.

Non, le caramel en furie ne passera pas. Je m’équipe et attrape la plaque à four qui supporte le cataclysme en devenir et sors le tout. J’attrape le plat à Tatin et démoule la tarte en un tour, à 180°, de main. Je sors une autre plaque et remets les endives à gratiner.

La paix est revenue.

À table!

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