Quiche à l’izquierda

Moi vous le savez, je suis un malade de l’évier propre.

“Maman, comment tu m’as fait, j’suis pas beau…” si si de l’avis général je suis beau! Mais je suis allergique! Allergique aux c.o.n.s, bon ça, qui ne le serait pas. Allergique au poil de vache, mais pas au poil de cheval; au poil de chat, mais pas au poil de chien. Avouez que c’est spécifique ? Mais pire que tout, je suis allergique à l’évier cloaqueux. À la “dompe” comme on dit chez nous. Vous savez : les casseroles empilées, les plats maculés, les poêles poisseuses, les contenants révélateurs, les verres rougis de culots vinasseux, les fourchettes empêtrées de filandres desséchées, les couteaux collants de Nutella qui ont laissé,  partout, des reliquats que l’on pourrait croire d’une autre fontaine. Ceux là, je les abhorre!

Je nettoie l’évier à la première salissure, la moindre souillure, la tache malpropre, la flétrissure lyséiforme ou anamorphe, la salissure, la marque, l’ombre de la marque, la moucheture, le stigmate en croix (bien sûr) ou tout vestige du jour et de la veille.

Je les chasse, les pourchasse, frotte, cure, gratte, racle, récure, brique, astique, fourbis et polis jusqu’au fini miroir, évier et champelure. Mais, aujourd’hui, mon geste a ralenti subitement jusqu’à s’arrêter, alors que je tenais l’objet contondant de la ménagère échevelée. Je me suis subitement mis en doute quant à la meilleure façon de le nettoyer. Question existentielle s’il en est?

On récure les casseroles, à la paille de fer s’il le faut. On polit les cuivres, à l’huile de coude et la prêle des champs. Mais on gratte le billot et la planche à découper de peur que l’eau n’effeuille les échardes. Mais que doit-on faire à l’arme du crime? L’assommoir est-il voué à un traitement spécial? Faut-il une blanchisserie pour en venir à bout? Dois-je le gratter telle une planche de bois, puis-je le laver puisqu’il n’est pas voué au couteau? Je ne passerai pas par-dessus le bord du toit, je ne finirai pas à Ste-Anne, ma crise de delirium tremens est passée et le rouleau à pâtisserie finit sous le robinet.

Oui, l’automne est revenu, la gym du mardi, elle aussi, et qui dit gym, dit quiche.

La gauche est passée, mais ce n’est plus la gauche caviar, c’est, paraît-il, la gauche-quiche aux poireaux. Eh bien, pour nous aussi le changement devra attendre un petit peu. Je suis brimé dans ma créativité culinaire! La quiche se doit d’être comme elle était du temps du Sautillant, du temps de l’épaule avantageuse, sa cuisse était trop courte pour pouvoir l’être. La quiche ne doit comporter que les ingrédients de base : poireaux, sel et poivre, oeuf et crème, farine, beurre et eau. Trois mois sont insuffisants pour entamer les grands bouleversements. Interdit le cumin! Interdit le Tabasco! Interdites les folies épicées. Une pointe de curry?  Un zeste de citron vert? J’aurais bien tenté une lichette de piment. La bouteille de sauce Hoïsin me faisait de l’oeil. Non, la Grande l’aime nature alors il faut rester sage. Oh, bien sûr, j’ai réussi à glisser une demie mesure de farine complète. Oui, j’ai agrémenté l’appareil , qui n’est pas d’État celui-là, d’une bonne dose de parmesan. Mais surtout, et c’est le fonds de commerce, j’ai amené les poireaux à la couleur idéale. Le blanc de poireau n’est que le clown blanc, le faire-valoir de la recette, il remplit la bouche, mais ne fait pas rire les papilles. Il faut l’Auguste chargé de couleurs, il faut la vivacité du nez rouge, il faut les grandes chaussures. Il faut donner au poireau sa maturité culinaire. Le poireau comme le sucre doit être roux pour être entier. Faites revenir au roux! Faites ressortir le goût! Quelle soit de gauche, “a l’izquierda” ou de droite, “a la derecha”, la moindre quiche mérite d’être parfaite.

À table!