Confiture de mots

Maintenant il n’est plus question d’acheter des confitures du commerce, il paraît.

Bien que réticente au début, comme je vous l’ai raconté, de peur du botulisme soi-disant. Le botulisme! Je vous demande un peu ? Une dizaine de cas par an et, de toute façon, dans des conserves à faible teneur en acide comme les haricots, les asperges ou les betteraves. Après, elle a trouvé que nous n’avions pas de place pour ranger les pots. À court d’arguments, elle est maintenant convertie et c’est même elle qui a repéré les pots en solde au supermarché.

Moi de mon coté, je cherchais des abricots, mais sans en trouver qui me plussent (allez hop, un petit imparfait du subjonctif, ça fait du bien par où ça passe).

En ce moment, notre sujet de conversation préféré ce ne sont pas les imparfaits, il y en aurait trop, mais les vocabulaires. On peut, semble-t-il, vivre et échanger avec 500 mots, mais en ayant une réserve de 1000 pour ajouter à sa compréhension limitée du monde qui nous entoure. Plus éduqué, le vocabulaire s’étendrait à 5000 mots et, pour les plus encyclopédiques d’entre nous, le vocabulaire ne passerait qu’aux alentours de 12 000 mots. Bien sûr, c’est sans compter tous les termes spécialisés qu’ils soient d’informatique, termes de métier, de botanique ou, bien sûr, de cuisine. Le vocabulaire français comprendrait aux alentours de 90 000 mots, non spécialisés. Le pire c’est que les anglais et leur langue simplifiée, approximative et prépositionnelle, en auraient 200 000! Je vous rassure c’est que leur dictionnaire comprend tous les mots qu’ils n’empruntent souvent que très épisodiquement aux autres langues. Tout ça pour dire que je fais mon possible pour entretenir votre petit potager lexicologique. Je débroussaille, au besoin, les noms de pièces de boucherie, les phases d’évolution du sucre, les dénominations botaniques. Bine entre les rangées pour bien faire fleurir chaque terme. Arrose quelque vieil hapax poussiéreux qui ne demandait qu’à disparaître dans un faisceau de mauvais archaïsmes. Fourrage dans les greniers pour y retrouver, au fond d’une pochette abandonnée depuis des lustres, quelques graines de polysyllabe parisyllabique que l’on pourrait remettre au goût du jour en un néologisme tout aussi explétif que tant d’autres. Je m’amuse des homonymes, synonymes et multiples paronymes, jouant de collusions pour créer collisions, vagues et contrecoups. Mais, je le promets bien solennellement, je m’ingénie surtout à trouver le terme exact pour que chaque phrase s’envole sculptée à l’angström près.

Tout ça pour dire que j’ai fait de la confiture de pêches et de pêche blanche par-dessus le marché. Pour les moins québécois, la “pêche blanche”, c’est comme ça qu’on appelle la pêche qui se pratique au travers d’un trou dans la glace . Donc de la vraie confiture de pêche du Québec.

En mémoire de Neil Armstrong, j’ai fait la confiture comme on lance une fusée. Comprenez que j’ai lancé l’ignition au troisième top et que la confiture a décollé comme Apollo 11 à l’assaut de territoires inconnus. Ce qui devait arriver arriva, la confiture a fait un grand pas dans la température et un petit pas vers la caramélisation. Malgré tout, les couleurs sont alléchantes, attirantes, attrayantes, aguichantes, tentantes et, plus que tout, appétissantes.

Maintenant on me surnomme “el jefe de la marmelada” (le chef de la confiture en castillan, la nouvelle langue de la casa)

À table!