Passé moëlleux

On se vautre dans son propre train-train. On y a fait sa petite place bien moelleuse, bien douillette, bien confortable. On s’y sent bien à l’aise. De temps en temps, une envie subite nous prend: écouter Scarlatti, pire, quelque mièvrerie vous amène à écouter Baden Powel! On y prend plaisir et parfois même on en reprend. On oublie Vivaldi et on pousse jusqu’à Mozart. Vivaldi, ça coule comme de l’eau dans un ruisseau. Mozart, ça claque comme un trille au piano (oui “trille” c’est masculin!). Les associations mentales, les ancrages neurolinguistiques sont tellement forts que les noms font rejaillir la musique.

Mon nid douillet à moi. Mon environnement délectable. Ma soue à cochons, c’est Georges Brassens. C’est pratiquement le seul dont je peux écouter les mélodies sans relâche. Vivaldi et Brassens. Dans la voiture pendant les longs trajets, j’écoute Onfray, Vivaldi et Brassens. Les autres, je passe. Une petite pression sur le comodo et je passe à la suivante. À l’entraînement, le matin, je pose mes haltères et je “skippe”.

J’écoute toujours les chansons de Brassens avec plaisir. Ma seule déviance à ce plaisir solitaire, c’est de les écouter chantées par Maxime Leforestier. D’habitude, je trouve les reprises insupportables parce qu’elles sont chargées d’un nouveau sens, toujours exagéré. La voix de Leforestier s’accorde parfaitement, la tessiture et le phrasé plus clair ajouteraient même au texte s’il y avait besoin. Je n’écoute plus Brel, parfois Barbara, de temps en temps Bobby Lapointe, quelques Bécaud, mais Brassens a toujours droit de cité. Bien sûr, j’ai “craqué” pour quelques jeunesses comme la charmante Bretonne, mais qu’on se le dise Vivaldi et le vieux moustachu reste le coeur de la musique qui m’anime.

Eh bien, ce soir, c’est le retour d’une recette indémodable et toujours acclamée. C’est le retour à la case départ, vous souvenez-vous? Le citron, les pommes, la note fraiche, Vivaldi! C’est le retour du moelleux! Bien sûr, il est réapparu plusieurs fois depuis son émergence, mais aujourd’hui avec le temps d’automne, cela ressemble à une résurgence.

En matière culinaire, je ne me fie pas à ma mémoire qui galope au loin et je reprends donc la recette que j’ai concoctée. D’ailleurs, si vous les avez consultées, j’ai la recette simple. Cinq ingrédients et trois étapes,  que faut-il de plus? De temps en temps, quelques fioritures, mais honnêtement tout doit se trouver dans le plat au moment de le cuire!

Ma seule fantaisie, c’est de cuire les éléments indépendamment le plus longtemps possible. Je roussis les oignons. Je fais revenir les poivrons. Je dore la viande. Je grille les courgettes. Je boucane les tomates. Je noircis les aulx. Je fais sauter les champignons. Et quand tout le monde a pris la bonne couleur, a atteint le summum de sa plénitude autonome, je les invite à mélanger leurs saveurs. Comme pour Brassens, j’aime à retrouver les bonnes vieilles odeurs pour ce qu’elles sont. Pas de réinterprétation ou alors de bon aloi. Il faut retrouver ses marques. Il faut humer les solos. Chacun accorde son violon. Puis c’est la grande envolée, tout le monde gagne la fosse d’orchestre et le chef abaisse sa baguette. Les odeurs s’époumonent en coeur. Reconnaissez vous à droite, l’oignon qui s’égosille, le safran qui hurle, le sel qui claquette, le poivre qui éternue. La viande qui pantèle pour rester à la hauteur. À gauche, on a les carottes qui gazouillent, les navets qui piaulent et les rates du Touquet qui tambourinent. Le concert a débuté. Le chef, de cuisine cette fois, règle le tempo et il suffit de profiter de la mélodie des odeurs qui montent jusqu’à l’apothéose en bouche.

Bien sûr pour le moelleux, rien de tel. Simple et de très bon gout. On rape les pommes et on mélange le tout. Cela n’empêche, la préparation à froid permet de reconnaître les ingrédients. Aujourd’hui, ce sont des golden, pas très bonnes à manger crues du fait d’une texture raide, mais elles dégagent une note sucrée. Donc un peu plus de citron et un peu moins de sucre. La cannelle sera le dièse pour monter d’un demi-ton.

Au programme ce soir, endives au jambon et moelleux aux pommes, le concert sera réussi!

À table.