Coup de feu!
Il y a eu un meurtre à la cuisine. Le cadavre est étendu de tout son long en travers du plan de travail. Ça a giclé partout. Des éclaboussures sur les murs. Des tâches jusqu’au plafond ! C’est la pétaudière, cette cuisinette. C’est le fouillis. C’est l’anarchie !
Et vous voilà, badauds ! Je vous vois derrière vos écrans, tendant le cou, tentant le coup, essayant de mieux voir ce qu’il se passe. Essayant d’apercevoir le corps sans tête, le cou ensanglanté, les mains crochues, les impacts de balles, les brûlures du « bout portant ».
Avant on disait « à bout portant » et d’un seul coup, sans prévenir, tout le monde s’est mis à dire « à bout touchant ». Pourtant, on comprenait bien ce que cela voulait dire, “à bout portant”. Cela voulait dire, que l’assassin était tout près! Il s’était approché! Il n’avait pas eu peur de la victime. Cela pouvait sous-entendre que le méchant voulait que sa victime le voit ou qu’il y avait eu bagarre. Sous quel engouement télévisuel, a-t-on changé de locution ? Un de ces feuilletons, une de ces séries américaines traduites à l’emporte-pièce nous aurait-elle déteint sur la phraséologie ? Non, c’est tout simplement que, maintenant, on rentre dans le détail. Ces séries sont basées sur l’absolue vérité des preuves: l’ADN extrait de la squame dénichée dans la couture du revers du noeud papillon. L’image du bout portant n’est plus assez agressive. Il faut que vous compreniez que le ruffian a enfoncé brutalement son colt dans la chair avant de presser la détente. Oui, c’est bien de la détente dont je parle et non de la gâchette. Le gredin a voulu faire mal, en plus de vouloir occire. Le public veut des détails. Le public-roi veut du sanguinolent. Et que je vous montre des autopsies, des organes, des cicatrices, des crânes ouverts. Et pourtant, le son de la fraise du dentiste que tout le monde cherchait à oblitérer de sa mémoire n’est rien, comparé au bruit de la miniscie circulaire tronçonnant les pariétaux. Et on s’aventure, toujours un peu plus, dans le scabreux ! Je me souviens lorsque le film « Les rivières pourpres » est sorti et que la nouveauté était la reproduction du cadavre que le générique survolait en macrophotographie. Les poils en gros plan, la morsure des liens dans la peau en haute définition, les purulences aux flots aussi tempétueux que les chutes du Niagara, l’horreur sublimée, le raffinement de la cruauté. Et moi, qui ne peux pas regarder les cinq premières minutes de « l’homme qui parlait à l’oreille des chevaux » parce que l’accident de cheval est trop explicite, plus exactement ce qui arrive au cheval est par trop évident ! Eh bien, douze ans plus tard, cela est aussi fade qu’un dessin animé de « Félix, le chat » pour un enfant de 18 mois ! Les Télétubies sont plus trash que « Les rivières pourpres ».
Eh bien non !
Il n’est pas question que je tombe dans ces dérives indécentes pour attirer du public, pour m’attirer VOS faveurs !
Il n’y a pas de cadavre. Il n’y a pas de sang. Il n’y a pas de détails obscènes…
C’est le coup de feu de midi dans la cuisine familiale. Pas de rectangle blanc. Pas de voile pudique. Toutes les casseroles sont honnêtes.
Mais il y a quand même encombrement sur la cuisinière: la confiture en devenir, la compote de pommes, les haricots frais en train de cuire, la soupe de légumes et les patates douces aux oignons.
La Grande doit travailler huit d’heures d’affilée en environnement hostile, la salle de nouvelles du Devoir ! Il lui faut des sucres lents pour tenir le coup. Il lui faut de l’énergie à long terme. Steak-haricots c’est bien, mais ce n’est pas suffisant alors je lui ai préparé une petite nouveauté. Rien de bien compliqué, des oignons, des patates douces et quelques épices.
En plus, il faut préparer le voyage au Pérou et s’habituer aux saveurs des Incas.
À table !
>>>> recette
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