Auguste galette

Je vous l’avais dit. J’en avais fait le serment, plus jamais de galette sans raclette !

Alors nous avons acheté la raclette. Il nous a fallu passer par au moins 2 magasins pour trouver LA raclette à notre goût. Nous ne voulions pas de la vulgaire raclette de pacotille du bois dont on fait les allumettes. Ni, non plus, de la raclette, en plastique « made in China », vade retro satanas ! Nous rêvions de la raclette de bonne famille, celle qui ne départ pas dans une cuisine bien mise.

Donc nous avons écumé les magasins de qualité. Eh bien, je dois le dire, malgré l’assortiment impressionnant de ces magasins de la taille d’un « Bonheur des dames », cher à Émile Zola, moins à Nietzsche, nous n’avons pas trouvé de raclette d’exception.

Une simple raclette sans fioritures en bois. Une petite baguette en guise de manche. Un petit trapèze en guise de racloir.

Alors « auguste »?

Ce n’est pas l’outil qui fait l’ouvrier. Ce n’est pas l’outil qui fait le geste. C’est le geste qui est auguste.

Foin de Zola et de sa littérature de bas étage. Voici Victor :

« Il marche dans la plaine immense, va, vient, lance la graine au loin, rouvre sa main, et recommence, et je médite, obscur témoin, pendant que déployant ses voiles, l’ombre, où se mêle une rumeur, semble élargir jusqu’aux étoiles le geste auguste du semeur. »

Donc vous m’imaginez mieux maintenant, décrit par Hugo : debout dans ma cuisine, la crêpière d’une main, la raclette de l’autre. Je l’ai fait chauffer à la bonne température. J’y ai mis une louche d’un onctueux mélange de farine de sarrasin, de sel et d’eau. Et il est temps de s’exécuter. J’approche la raclette de l’amas, vais pour entamer la volute lisseuse et misère…

La grande m’avait octroyé un vote de confiance. Bien qu’elle trouvât la raclette un peu grande pour la poêle. Elle s’était retirée dans ses quartiers, sure de retrouver à son retour une pleine assiette de galettes. Moi, vous me connaissez, je suis allé en Bretagne quand j’étais jeune… Alors, faire des crêpes, il n’y a rien là ! (expression du terroir)

Je me l’imagine bien, le geste du crêpier. On se met là, on part par là, on tourne, virevolte, volute, léger comme la fumée, agile comme le cormoran, aérien comme la libellule, rapide comme l’éclair. D’un geste, il signe de la pointe de la raclette, d’un Z qui veut dire Zéro.

Oui parfaitement, zéro. Zéro pointé comme on disait. On le met où le point?

Donc imaginez la scène, allez on participe ! La poêle préalablement graissée, la pâte de sarrasin bien épaisse, et la raclette… Qu’est ce qu’il se passe d’après vous? La pâte suit la raclette. Le tapon glisse. L’amas dérape. Le tas se fait la malle. L’agglomérat migre. En un mot, tout fout le camp.

1 à 0 pour la galette.

Donc là, fi des 50 cl d’eau de la recette à la soeurette. Je dilue jusqu’à obtention d’une consistance plus à mon gout. Cette fois, je mise sur une plus grande surface d’adhérence. Donc versement de la pâte avec mouvement rotatif du poignet pour créer une assise en forme de larme batavique arquée allant de 8 h à 1 h. Ensuite attrapage de la base ovoïde vers 9 h et mouvement circulaire horaire jusqu’à 3 h. Enfin, salto piqué du poignet pour un 360° antihoraire.

Le résultat est là !

À table !

P.-S. Je ne peux pas m’empêcher d’éclairer les allusions, Nietzsche a dit de Zola qu’il jouissait du « plaisir de puer ».

Si vous regardez de près vous verrez les volutes de la raclette!