Pâte en tas

Qu’est-ce que je raconte ? La vérité vraie ou la vérité crue? Pas le «crue» de pas cuite, le «crue» de croire ou faire croire.

Est-ce que vous voulez croire à mon génie inné de la chimie alimentaire (figure de style) ou  à la dure réalité de la cuisine?

Est-ce que vous pensez que, fort de mes pâtes à tarte, mes pâtes à gâteaux, mes pâtes brisées, mes pâtes sablées, mes pâtes minutes, au robot, à la main, à l’amande, au sel, au sucre, au beurre, au sarrasin, au blé dur, au blé mou, le succès était assuré? Vous croyiez que j’allais obtenir la pâte à pâtes idéale. Vous croyez que j’ai réussi. Vous voulez croire! Vous vous attendiez à une jolie histoire, un opéra, un air à la mode, une petite musique douce, une historiette, une berceuse. Vous attendiez le « happy end » à l’américaine. Vous n’attendez même pas, vous êtes sûrs. Vous vous demandez : où cela pourrait-il donc clocher? Quelle est donc la difficulté? C’est une étape facile! C’est Paris-Bordeaux à vélo. Ce n’est pas l’enfer des pavés. On n’est pas dans les Pyrénées. Il n’y a pas de col à franchir. Ce n’est pas le Tourmalet. On enclenche le petit braquet et on mouline. On est dans le peloton. Il n’y a besoin de s’échapper. Allez! Hop! Hop! Hop!

Œufs, farine, sel, pétrir, laminer, découper, cuire.

7 mots! La recette la plus courte du monde. Et encore, elle comprend les ingrédients ET le modus operandi. Avec les quantités, on arrive à 10 mots.

3 œufs, 300 g farine, 3 g sel, pétrir, laminer, découper, cuire.

On a eu la recette à 2.5 maintenant c’est la recette à trois 3 !

Où est le problème? Pas besoin de se mettre en danseuse! Pas besoin de mettre son tutu rose du meilleur grimpeur.

Voilà, vous êtes rassurés. Vous vous dites : il minimise l’exploit. Il cache les photos pour mieux nous ébaudir à la dernière minute. Il fait du roman. Il invente des péripéties à un conte qui n’en a pas besoin, pire encore, qui n’en avait pas.

Eh bien, bonnes gens, détrompez-vous. Venez entendre la misérable aventure que votre héros a subie dans sa quête de la pâte à pâtes. Venez ouïr les avanies, les humiliations, les vexations, les outrages qu’il a endurés dans son apprentissage du spaghetti parfait. Apprenez comment l’épistémé de la nouille s’est désagrégée à son approche, le laissant écartelé entre farine et œufs. Oyez comment toutes les dures expériences, acquises dans de longues incursions aux pays des cornes de gazelle, n’ont pu le prémunir du désarroi de la tagliatelle.

Tout a commencé bêtement : un saladier, de la farine, du sel et des œufs. Je touille et la pâte semble vouloir obéir. Elle forme les premiers amas, elle s’amalgame, elle s’agglomère, elle s’agglutine. Mais d’un seul coup, il n’y a plus rien à faire. C’est la pâte folle. Elle rejette. Elle écarte. Elle refuse. Il en reste trop sur les bords. Une cuillerée d’huile, une cuillerée d’eau et le tout rentre dans l’ordre. Ah non, il en reste encore sur les côtés. Des astéroïdes orbitent autour de la planète mère. L’accrétion n’est pas totale! Qu’à cela ne tienne, encore un peu d’eau. Il y a bien un peu de farine collée sur les parois du creuset originel. Allez encore plus d’eau pour ne rien perdre de ces bons ingrédients: de la farine en provenance directe d’Italie, typo «00», des œufs enrichis en oméga 3, il ne faut pas en perdre. Voilà, la boule est prête. Elle colle un peu aux doigts. Un peu de farine va régler ça. Non, elle adhère toujours. Légèrement, mais cela ne devrait pas être idéal pour le laminoir. Encore un peu de farine. Pétrissage. Farinage. Malaxage. Farinage. Triturage. Farinage. Qui a pris en note les quantités ?

La recette dit : laisser reposer une demi-heure. C’est l’étape, le repos mérité de part et d’autre.

Retour à l’établi. La pâte ne colle pas, elle a une belle apparence, comme une certaine voiture de bonne mémoire.

Le laminage se passe bien, mais il faut le faire à quatre mains parce que la légère adhérence dérange.

Et maintenant, la segmentation finale. Misère et désolation, une belle langue de pâte striée! C’est joli, on dirait un canevas de pâte en long, et non un pantalon de canevas. Mais de spaghettis que nenni!

Pour dire la vérité plus crue encore, on dirait les résurgences de vers marins à marée basse ! Vous savez, ces petits tas de vermicelles de sable en partie désagrégés qui surgissent de la fine couche d’eau en avant de la marée qui remonte. Pouah! Je vous l’avais dit que l’histoire était terrible.

J’ai dû laminer trop fin. Essayons plus épais. Numéro «quattro».

De peur de réitérer la vision d’horreur, cette fois, ce sera les tagliatelles. Après le canevas, ce sont les canisses, mais de pâtes aucune.

Patatras! C’est le potentat de la pâte en tas! Tout ça pour ça!

On en fait quand même plusieurs longueurs, mais rien n’y fait, la liaison est trop parfaite et «mal-t-appropriée».

On ne va pas se laisser faire par un peu de pâte quand même. La petite soutient que la pâte était raide, presque rigide sur YouTube, l’Encyclopaedia Universalis de la jeunesse d’aujourd’hui. Ah, qu’avons-nous perdu les tranches reliées de blanc et de bleu! Pas de sentimentalisme archaïque, justement les tranches sont bien trop reliées et il faut y remédier. Force farinage et malaxage sont les mamelles de la séparation de la tagliatelle et du spaghetti.

Finalement, la pâte obtient une texture idoine et les pâtes se coupent comme par enchantement.

Les avis sont partagés, sécher ou ne pas sécher.

Les activités de chacun en décident d’elles-mêmes. Séchage il y aura.

De retour, quelques heures plus tard, les pâtes semblent parfaites. J’avais bien un peu peur de retrouver les œufs d’un côté, la farine de l’autre et au milieu le sel en un petit tas, pas tentant.

L’épilogue est court: 7 minutes à l’eau bouillante, beurre, comté râpé.

Délectable! Gastronomique, ce sera la prochaine fois.

À table!

>>>>> recette

 



1 thought on “Pâte en tas”

  • je viens de prendre connaissance de l’odyssée tu sais qu’il existe de délicieuses pates dans de joli paquet plaisant à l’oeil facile à cuire, et pas cher mais d’un autre coté rien que de te lire, j’ai fait un délicieux repas BISES