Litote de crabe

Les pêcheurs sont sortis pour pêcher le « crabe des neiges ». Ici, c’est comme le vin nouveau, on attend le crabe frais comme un bon signe du retour du printemps. Enfin, je dis « ici », mais c’est plutôt moi, la grande et la petite n’attendent pas plus le retour du crabe que l’ouverture de la pêche. Elles attendent le soleil ! Du coup, elles attendent plus longtemps, il faut savoir se satisfaire du premier signe avant-coureur du début de l’amorce de l’arrivée imminente de la nouvelle saison. Il y beaucoup de signes encourageants: déjà il n’y a plus de neige, le lilas du coin de la pelouse frémit, les bixi (les ‘vélib’ de Montréal) ont envahi la ville, il y a des fleurs au marché… Le crabe, c’est un bon signe et en plus ça se mange.

Qu’on ne s’y trompe pas, ce qu’on appelle du crabe; c’est ce que, dans mon jeune temps, on appelait « araignée de mer ». C’est l’éboueur du fond des mers. Il y en a des petits et des super gros. Les Russes en ont implanté des tellement gros, les crabes royaux, dans la mer de Barents, qu’ils n’arrivent plus à les retenir. Ces gentilles petites bestioles, qui peuvent faire 2 m d’envergure, descendent tranquillement vers les côtes du Nord de la Norvège en détruisant tout sur leur passage. Attendez-vous à les voir débarquer sur vos rochers, gris, hirsutes, gluants, poilus… BRRRRRRRR!

Nous ici, nous sommes chanceux, les soi-disant crabes ne font que 60 à 90 cm d’envergure. Ils ne sont pas de taille à nous grignoter les mollets. Et heureusement que ce ne sont pas vraiment des crabes parce qu’un crabe de cette taille aurait, certainement, des pinces conséquentes. L’euphémisme est bien trouvé ! Il est vrai que sans le corps on pourrait croire à des pattes de crabe, mais maintenant que tout le monde a vu la reconstitution d’un squelette à partir d’un morceau d’arcade sourcilière dans les feuilletons à la mode… Oh pardon, les séries, nous ne regardons plus de « feuilletons », mais des « séries ». Feuilleton cela fait trop « Trois mousquetaires » d’Alexandre Dumas paru dans le journal quotidien Le siècle, en 1844. « Journal » non plus, cela ne se dit plus. On parle de média. On parle de multimédia. On parle nouvelles, de tweets, de réseaux sociaux, de fausses nouvelles, de nouvelles virales, de buzz… On parle de tout un tas de choses qui ne veulent plus rien dire. Le crabe, c’est une araignée et la nouvelle, c’est une rumeur.

Qui est-ce qui veut manger de l’araignée? J’ai aussi de la limace ou du cafard !

À l’époque, cela ne me choquait pas. Il n’y avait pas d’amalgame direct entre les arthropodes. Cela semblait être un mets délicat. Moins courant que les tourteaux. Il faut dire qu’elles étaient moins grosses, une balle de tennis peut-être. On mangeait du foie, du coeur, des ris, des rognons, des tripes, de la cervelle, des amourettes, du gras double, du saindoux, parfois des animelles, et même de la queue !

Ah ça c’est prévu, il y a une page réservée dans le blog pour le jour où je vais faire de la queue. Je vais vous faire toute une belle page sur comment je l’ai fait cuire, comment je l’ai désossée, comment je l’ai mangée, comment je l’ai aimée ma queue de veau. Je vais vous faire tout un tas de photos en couleur, en gros plan, en contre-plongée. Je vais vous la raconter ma recette que plus jamais vous ne pourrez manger autre chose que de la queue de veau. Il y aura pénurie mondiale ! Les veaux auront la queue entre les pattes. On mettra des antivols de queue de veau. On les peindra en fluorescent pour pouvoir suivre les voleurs dans la nuit. Ce sera la Saint-Barthélemy des  queues de veaux !

Et nous serons tous honnêtes ! Nous crierons haut et fort que nous mangeons de la queue de veau. Nous ne trahirons pas les pauvres animaux amputés en trouvant un artifice pour cacher la provenance de ce morceau de choix. Nous créerons la ligue de défense de l’appellation réaliste. Nous serons les adeptes de la vérité vraie.

En attendant, je m’empiffre et ce n’est pas une litote, je vous le jure!

À table !