Pain de l’Olympe

Il faut que je vous raconte la boulangerie de Tadoussac.Le meilleur pain que j’ai mangé de toute ma vie. Je ne sais si c’est comme la pastèque, mais c’est le meilleur pain, point!

Vous ne connaissez pas l’effet de la pastèque? La pastèque c’est bon en vacances et en vacances seulement. Quand vous rentrez à la maison, la pastèque c’est plein d’eau, c’est plein de pépins, ça n’a pas de goût, ça coule partout, en deux mots comme en cent, c’est bof. Mais alors en vacances, la pastèque, c’est le nirvana. Ça doit être une question de pression atmosphérique, ou de latitude, ou de l’attitude, ou d’altitude, en tout cas, c’est vachement bon la pastèque, mais en vacances seulement.
Donc le pain de Tadou, c’est vachement bon. Il est frais, il est moelleux, il est goûteux, je dirais même plus, il est gouleyant. À Saint-Fulgence, sur la route de Chicoutimi, ils font du bon pain aussi, mais ce n’est pas la même chose. On sent que, même si c’est une petite boulangerie, aussi, ils font du pain commercial. Ils font du pain qui va plaire, plein de je ne sais pas quoi qui plaît, mais qui ne doit pas être bon pour le régime. Il est super moelleux, mais ça sent le factice. Il se dissout sous la dent. Le pain de Tadou, lui, il fond sur la langue. Il s’évapore dans une explosion de sensations gustatives inédites. Il fleure bon la nature, le naturel, la terre nourricière, le pain béni!

On disait, on chuchotait plutôt : « ce sont des boulangères ». Non pas les femmes de boulangers, mais des boulangères qui font le pain.

Donc ces mythiques boulangères faisaient le pain avec des graines choisies parmi les meilleures de la région. C’est ce qu’il se disait en tout cas. Les plus pures des valons avoisinants, les plus charnues que la terre de Québec avait pu nourrir. Comme la légende était belle. Comme l’idée du pain était pure. Comme le pain était bon. La légende rejoignant la réalité. Que demander de plus ?

Mais j’avais eu un premier choc, avant hier, alors qu’ayant toujours été accueilli par de joyeuses créatures pleinement féminines, un jeune éphèbe souriant m’avait servi. J’avais essayé de voir par dessus le comptoir si ces jambes ne se terminaient pas en sabots, satyre introduit dans le jardin d’Éden.

Tombant de Charybde en Scylla, ce matin la boutique en était pleine… Une armée de boulangers! Une armée de deux mais une armée quand même, à eux deux ils remplissaient la boutique! Cette fois pas de doute, des vrais hommes, des mitrons ou des gindres, je ne sais pas, mais en tout cas ils avaient du poil au menton et pour une boulangère cela ne se porte pas très bien. Comme dirait Hugo, ce fut ma Tristesse d’Olympio : ” Que peu de temps suffit pour changer toutes choses !”

Alors est-ce que le pain, que je n’ai osé, de toute la journée, sortir de sa gangue de papier, a gardé toute sa fabuleuse saveur ou bien est-ce que la pastèque vient de me rattraper? Le pain des boulangères n’était-il qu’une vacance de mon âme esseulée? Les boulangers ont-ils tué la boule aux grains d’or.

Bon, de toute façon , je l’ai payé alors je vais le manger.

À Table!