Les Wontons des plaines

Cela fait quelques années que nous en entretenons une réserve. Nous élevons nous-mêmes nos wontons qui, comme tout le monde le sait, sont des animaux noctivagues du froid, du très grand froid. Bien qu’ils viennent de pays réputés orientaux, ils ont trouvé, au Québec, un environnement propice à un peuplement septentrional. Les wontons sont de petits animaux carnivores à la peau plissée qui, comme les oies périgourdines, doivent être gavés pour être à leur meilleur.

J’ai ramené la souche du nord du Québec. Ils avaient éclos dans un environnement de bon aloi, grandissant en une harde nombreuse à l’instar des caribous qui hantent la toundra toute proche. Ils avaient la peau bien plissée, l’estomac bien rempli, la farce bien épicée. Ils appréciaient particulièrement les bains forcés dans des environnements riches de légumes bio et de bouillon gouteux.

Comme une fourmilière, à la fin de l’été, les membres forts entreprennent brutalement d’essaimer pour prendre leurs quartiers d’hiver. La ruche se met à grouiller d’activité et leur nombre grandissant trouve toujours de nouveaux abris et des bergers adoptifs prêts à les accueillir pour profiter,lâchement, de leurs protéines pendant la froide saison qui approche.

Je dois dire que ces wontons là étaient des bêtes de concours, soigneusement nourris, parfois même truffés d’une pointe de fromage local. Ils avaient fière allure avec leurs tricornes bien pointés bien haut. En les regardant de près, on pouvait leur trouver un petit air de famille avec leurs cousins germains, les dimsums d’Asie. Pendant leur migration de 500 kilomètres, ils s’étaient un peu égarés. Ils avaient, en se rapprochant de Woodstock, pris des allures « peace and love ». Hippies aux cheveux longs qui se déploient largement dans l’eau du bain. Naturistes à la couleur ambrée, plus marquée par l’incidence obtuse des ultraviolets que leur prédécesseurs soumis à la lumière rasante de l’extrême nord. Fier-à-bras aux abdos rebondis et plus exposés par un régime faible en lipides. En tout cas, ils avaient bien changé en arrivant dans la grande citée.

Régulièrement, lors des périodes de reproduction, nous ressortons les ferments de leur progéniture. Cela se passe le dimanche, en hommage à leur transhumance dominicale de l’époque, mais aussi parce que la grande n’aime pas trop voir les parturientes au travail. Et tout d’un coup, c’est comme une éclosion d’éphémères. Je les aide à trouver leur forme finale, les extrayant de leur magma originel. La petite leur donne leur premier bain. 3 minutes exactement, pas une seconde de plus, pas une seconde de moins. Il faut vite les sortir. Panser les plaies ouvertes. Les étendre sur une pierre plate bien fraiche pour leur donner le temps de se sécher. Ensuite, on les répartit par famille dans de petits enclos, on les marque, on affiche leur pédigrée et on les confit au grand froid qui est leur habitat.

Enfin, quand l’envie nous en prendra de leur donner le bain du banquet final, nous le préparerons avec soin y ajoutant tous les ingrédients nécessaires à une fête du palais réussie: quelques extraits de volaille blanche, quelques exsudations de graines de soja, quelques distillats de piment de La Nouvelle-Orléans, quelques fabacées goulues, quelques alliacées monocotylédones et leur dernier bain sera notre bacchanale nocturne.

À table !

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