Distillat numérique

Vous allez penser que je fais une “fixette” mais hier j’ai été tenté par des rollmops et je suis resté sur ma faim. Ils avaient l’air appétissants, mais il leurs manquait quelque chose. Pas seulement de ne pas avoir été faits avec amours, délices et orgues, ni d’avoir été produits de main de maître par ma chère Maman, mais simplement de ne pas avoir de provenance! Je vous le donne en mille, il y avait bien le lieu d’emballage, mais pas la moindre trace de lieu de production, de préparation ni même de pêche. Juste l’emballage. Est-ce que cela suffit d’être emballé au Canada pour être aussitôt un produit 100% canadien ? Je sais bien qu’en France la pluie qui tombe, drue, est 100% française. Les lacs belges ne se permettraient pas d’embuer notre beau ciel bleu avec quelques gouttes de leur eau sale. Étymologiquement “sale” ne voulant que dire “trouble”, je m’en voudrais d’insulter l’eau de nos voisins. Donc nos voisins gardent leur eau. Les voisins de nos voisins sont bien trop verts pour s’essayer à quelque nouvelle déclaration de guerre bio-polémique. Mais quand on arrive aux voisins des voisins des voisins, là on ne sait plus à quel saint se vouer. Eux, ils te nous envoient des nuages radioguidés et surtout radio-actifs qui détectent bien les frontières, mais s’en contrefichent comme de l’an quarante. Les météorologistes français sortent tous de leur bureau pour souffler bien fort en espérant endiguer la vague céleste, mais je ne suis pas sûr qu’ils soient tous fils d’Éole.

Donc j’ai fait de la confiture!

Le raccourci serait-il trop abrupt pour vos pauvres méninges surmenées par ma prose dévastatrice ? C’est évident : la confiture B**** M***** est elle réellement aussi française que son nom le laisse croire ? Est-ce qu’ils ont ramassé les fraises à la main dans le champ du voisin ? À l’époque de la traçabilité, peut-on retrouver la feuille qui a porté le fruit dont elle est issue ? Nos pires ennemis commerciaux ont-ils trouvé une autre astuce mesquine pour importer des fraises presque complètes ? Pire, est-ce qu’ils importent la confiture toute faite et qu’ils ne font que la mettre en petit pot chez nous pour la blanchir au même titre que leur argent sale ? Qui, dans ce cas-là, n’est plus trouble, mais proprement dégoûtant!

Non, cette fois, c’est décidé, je saurais ce dont j’oins mon croissant du samedi.

Je les ai achetées Québécoises, je les ai prises une à une, les ai lavées d’un effleurement Marie-Madeleinien, équeutées prestement, mais parcimonieusement, et finalement, je les ai inspectées avec circonspection pour ne garder que les meilleures. La matière première était à la hauteur de l’oeuvre finale. Quatre kilos de fraises de première qualité. Une nuit de macération pour en exprimer les arômes dans du sucre qui s’il n’est pas de mes cannes et lui, tout à fait, légitime.

Il y avait bien le problème de la bassine de cuisson. Je sais bien que les Atilas du soleil levant vous inondent à vil prix de Le Creuset de pacotille, mais je dois vous dire que la bassine en cuivre doit traverser l’océan à la rame pour finir ici à ce prix là. Il faut une seconde hypothèque domiciliaire pour faire les confitures dans le récipient idoine. Ou alors, à Villedieux les Poêles, ils ont abandonné le cuivre au profit de l’or en voyant débarquer les plagiaires au rond rouge et les mafieux aux célèbres outils. Alors pudding et fraises même combat ou plutôt même vaisseau.

Pour la recette, la Grande a consulté le ban et l’arrière-ban. La table était pleine de livres, publications, notes ancestrales, mais aussi lourde de pages web, de vidéos tubiques et autres recettes virtuelles. Le pire de tout ce fatras est la somme inimaginable de précisions que vous obtenez. La bonne vieille solution de la goutte de confiture sur une assiette n’est plus suffisante. Doit-elle figer instantanément, doit-elle être solidifiée après deux minutes au réfrigérateur, doit-elle épaissir si le verre a été préalablement refroidi, glacé, réfrigéré, rafraîchi, frigorifié ou gelé ? Vous n’y êtes pas du tout, elle doit avoir atteint la densité précise de 1,2964.  Vous ne saviez pas ça ? Mais tous les internautes semblent s’être donné le mot. Pi n’est plus. Le nombre d’or non plus. Maintenant le nombre qui est sur toutes les bouches, poisseuses ou non, c’est la densité précise de la confiture qui aura la consistance idéale pour prendre dans son pot.

Si vous n’êtes pas assez évolués technologiquement pour avoir sous la main, un densimètre à confiture, vous pouvez vous rabattre sur le thermomètre à sucre. À 105°, votre confiture est prête. Fini la cuisson à la nappe, au lissé, au petit cassé, au grand cassé, au petit boulé ou au grand soufflé. Fini la poésie des terminologies. Le violon ne produit plus de riches harmoniques, il ne produit plus que des bits, des octets et toujours pire, des gigas. La cuisine ne se mesure plus en terme de sensation sur les doigts, mais en degrés Brix ou sur l’échelle de Baumé. C’est de sa faute, à ce satané Baumé, qui était chimiste, mais dont le père était pâtissier, il a trahi la tradition familiale et nous en payons le prix.

Alors pas de bassine en cuivre, la cuisson au thermomètre, que va-t-il advenir de ma confiture. Est-ce que cela va finir en marmelade informe, inodore et sans saveur ? De la confiture pareille au vin californien. Du vin au goût synthétique pour ne pas choquer des palais qui n’en sont pas. Un Ritz sans cachet. Un édifice de stuc.

Mais non l’amour, toujours l’amour, les ions positifs de la passion familiale, l’ingrédient secret qui en fera pour tout l’hiver, un rayon de soleil venu du fond de l’été.

À table!

 



1 thought on “Distillat numérique”

  • j’ai admiré le bouillonnement des fraises dans la bassine, et ta bien fait de ne faire confiance qu’a ton et de loin j’ai suivi la progression bassine… fruits….sucre …..pots…..il manque seulement la mine réjouie des